lundi 28 mars 2011

Allaiter un orphelin : Nadia, 31 ans, témoigne

Interview réalisée par Emilie-Nourra, fondatrice et responsable du blog Mamans musulmanes et rédactrice sur Al-Kanz.org

Lorsqu’un couple s’unit par le mariage, le cours normal des choses est de fonder une famille. Ceci est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un mariage musulman. Si avoir des enfants semble facile pour certains, d’autres sont confrontés à l’épreuve de la stérilité, à l’impossibilité de procréer. Pour fonder cette famille tant désirée reste l’adoption. Or en islam l’adoption n’existe pas à proprement parler. La kafala est une forme d’adoption qui n’est pas appréhendée de la même manière que dans le droit français. Elle conserve obligatoirement les liens de filiation, les parents adoptifs devenant en réalité les tuteurs de l’orphelin. Les tuteurs décident de nourrir, de vêtir, d’éduquer et d’aimer l’enfant comme s’il s’agissait du leur. Cet acte est des plus méritoires dans la religion musulmane.
Afin de créer un lien de filiation réel, l’enfant recueilli pourra être allaité par la tutrice légale, qui deviendra ainsi sa mère de lait. Comment allaiter un enfant lorsqu’on est stérile me direz-vous ? Eh bien, c’est tout à fait possible. Nadia, 31 ans, évoque avec nous son expérience de mère adoptive et allaitante. Elle retrace son parcours à la fois pour la kafala mais aussi ce qui lui a permis d’allaiter son petit garçon.
Emilie-Nourra : Vous êtes la maman d’un petit garçon adopté sous le régime de la kafala. Pouvez-vous nous décrire comment cela s’est passé pour vous?
Nadia : ll y a environ un an et demi, mon mari et moi nous nous sommes lancés dans une procédure d’adoption. Pour cela, nous avons commencé par passer l’agrément français délivré par le conseil général, qui dure environ neuf mois durant lesquels nous passons des entretiens psychologiques avec un psychiatre et des assistantes sociales. Suite à cela, un avis est rendu en commission. Durant cette période, j’ai beaucoup réfléchi au côté islamique, notamment pour que cet enfant que j’allais adopter soit un mahram pour moi, que je ne sois pas obligée de me porter le voile en sa présnce dès qu’il aurait atteint sa maturité. J’ai pensé en premier lieu au fait que ma sœur pourrait devenir sa mère de lait, si je ne trouvais pas d’autre solution. Mais je voulais absolument devenir plus qu’une simple tante de lait pour cet enfant. Je voulais que ce soit mon fils de lait à moi. J’ai commencé à faire des recherches pour voir si effectivement il y avait des lien entre stérilité et allaitement et si l’allaitement était forcément lié à l’appareil génital féminin, ce que bon nombre de personnes pensent d’ailleurs. A ma plus grande joie, j’ai découvert que non (vive Internet !), car les deux hormones qui sont responsables de la lactation, prolactine et ocytocine, ne sont pas liées à la grossesse ni à l’accouchement. Elles sont en réalité produites par la glande pituitaire et non par les ovaires. Ainsi, la production de la prolactine, l’hormone qui produit le lait, et de l’ocytocine, l’hormone qui libère le lait, peut être générée par la stimulation du mamelon.

A se stade je n’y croyais pas encore vraiment, jusqu’à tomber sur un article qui à changé ma vie et sur lequel je reviens très souvent ,car je le trouve très enrichissant. Il s’intitule : Droit de l’enfant abandonné à la parenté et aux liens familiaux.
Mon seul souci était que je ne savais pas encore comment j’allais m’y prendre pour stimuler ma lactation et là encore j’ai découvert la méthode du Dr Jack Newman. Ce médecin recourt à deux procédés pour stimuler la lactation, le procédé long et le procédé court. J’ai choisi le procédé court, car je ne savais pas à quel moment arriverait l’enfant. Je voulais absolument être prête à temps et ne pas perdre de temps. Le procédé court consiste en la prise de dompéridone, un médicament généralement prescrit contre les nausées, mais qui à pour seul effet secondaire de provoquer une hausse de la prolactine, et la prise de galactogènes naturel (fénugrec, levure de bière, tisane de galéga, graine de nigelle, malt…) tout en stimulant les seins avec un tire-lait électrique. Pour cela cinq à huit séances de tire-lait par jour d’une durée de dix à quinze minutes sont nécessaires, si l’on veut de vrais résultats. C’est vrai que c’est assez contraignant, mais quand on pense au bonheur d’allaiter son enfant on oublie cet aspect-là. J’ai réussi à avoir des résultats en deux semaines. Au début, je savais que je n’arrivais à récolter que quelques gouttes de lait, mais au fur et à mesure ces gouttes se sont transformées en un millilitre, puis deux puis trois… jusqu’à atteindre environs 140 ml par jour. Ce n’est pas autant qu’une femme qui vient d’accoucher, mais j’ai quand même réussi à créer des réserves mises au congélateur. L’avantage du lait maternel est qu’il se conserve très bien al-hamduli-Llah. J’ai commencé à stimuler ma lactation environ trois mois avant la fin de mon agrément français.
Quand j’ai enfin eu le sésame du conseil général, j’ai contacté l’orphelinat « la crèche de Tanger » au Maroc et j’y ai déposé un dossier pour une kafala. J’ai été mise sur liste d’attente et deux mois plus tard, c’est-à-dire en septembre 2010, j’ai reçu le coup de fil tant attendu qui m’annonçait qu’un petit garçon m’attendait et là tout s’est bousculé dans ma tête. J’ai pris un billet d’avion pour octobre.
Emilie-Nourra : Comment s’est déroulé l’allaitement ? A quelles difficultés avez-vous été confrontée ?
Nadia :
Quand on m’a présenté mon fils, je suis revenue à la réalité, les moments précédents n’étaient qu’imaginaires pour moi, je m’imaginais tout, mon futur enfant, la rencontre… puis le choc ! C’est d’ailleurs un peu comme à l’accouchement, ce minuscule être que l’on vous met dans les bras, c’est assez impressionnant subHana-Llah. La rencontre tant attendue est arrivée et finalement je n’ai rien vécu de si surprenant, je n’ai pas ressenti grand-chose bizarrement.

Quand j’ai rencontrée mon fils, j’étais avec une de mes tantes du Maroc, mon mari ne pouvant pas se déplacer à cause de son travail. Ma tante expliqua à la responsable de la crèche que je comptais allaiter mon fils. Celle-ci était assez surprise que ce soit possible alors que je n’avais pas eu de bébé. Et là, elle me dit de monter dans une pièce tranquille pour allaiter mon fils. J’étais prise de court. Je suis donc montée avec mon fils et je lui ai donné sa première tétée au sein. SubHana-Llah, il a pris le sein comme s’il l’avait toujours fait. C’était magique. A ce moment précis, je me suis dis : « C’est mon fils ce petit bout ». J’ai ressenti une foule d’émotions, c’est indescriptible. J’étais bien, mon fils collé à moi, serein. Cela me procurait une immense sensation de bien-être. Les jours suivants, je venais le voir avec un biberon plein de lait maternelle à chaque fois. S’agissant des difficultés, je n’en ai pas rencontré particulièrement durant l’allaitement, le seul regret étant peut-être de ne pas pouvoir allaiter mon fils à uniquement au sein mais c’est déjà bien subHana-Llah.
Jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas encore récupéré mon fils à cause des grèves dans les tribunaux du Maroc qui ont longuement retardé le début de la procédure de kafala, mais al-Hamdu-liLlah normalement il devrait me rejoindre en juillet in cha’a-Llah. En attendant, je continue à lui rendre visite. Je suis allée le voir fin février, il à bien grandi ma cha’a-Llah. Il a eu sept mois aujourd’hui et il vient de commencer la diversification alimentaire. Je lui ai encore donné mon lait, mais au bout de trois biberons il n’en voulait plus. J’ai tout essayé mais même lorsque le lait était mélangé au cérélac, il le reconnaissait et le recrachait. Je pense qu’il s’est habitué au lait de l’orphelinat. J’étais assez déçue. J’ai tout de même fait des réserves dans le congélateur, j’essaierai de le convaincre une fois qu’il sera à la maison in cha’a-Llah. En attendant je vais prendre mon mal en patience.
Comme la procédure de kafala à pris beaucoup de retard, je ne sais pas si je vais réussir à tenir le coup et de continuer à stimuler ma lactation durant encore cinq mois. Cela dit, le plus important c’est qu’il ait eu ses cinq tétées al-Hamdu-liLlah et que, grâce à ces quelques tétées, un lien particulier s’est créé entre mon fils et moi, un lien ineffaçable. Je suis à présent sa mère de lait et personne ne pourra jamais le nier. Allah fait bien les choses. Je pense aussi que le fait d’avoir allaité notre enfant adopté facilitera la communication plus tard, surtout lorsqu’il s’agira de lui raconter son histoire et de pouvoir le rassurer.
Emilie-Nourra : Que conseilleriez-vous aux femmes qui souhaiteraient se lancer dans cette belle aventure?
Nadia :
Je conseille fortement à toutes les soeurs qui décident d’adopter de ne pas hésiter à faire profiter leur futur enfant de tous les bienfaits qu’offre le lait maternel, aussi bien physiologiques que psychologiques. Il est nécessaire qu’elles fassent preuve d’une grande motivation, qu’elles s’entourent des bonnes personnes : celles qui les encourageront durant leur parcours, qui s’avère parfois difficile moralement mais qui n’est rien comparé au bonheur que cela procure. Le plus important : invoquer Allah pour qu’il mette Sa Baraka dans l’allaitement et que ce lait maternel devienne abondant.

***
Merci infiniment à Oum Marwan pour cet entretien, pour l’espoir qu’il fera naitre j’en suis sûre dans le cœur de ces femmes qui ne peuvent mettre au monde leur enfant, pour prouver aussi qu’on peut allaiter un orphelin même si cela semble impossible. Rien ne l’est si ce n’est par la volonté d’Allah.